Economie
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Réduction des intrants phytosanitaires : vers une rentabilité agricole durable

Introduction

La réduction des intrants phytosanitaires est devenue un enjeu stratégique pour l’agriculture française. Face aux impératifs environnementaux, aux attentes sociétales croissantes et aux objectifs fixés par les politiques publiques (notamment le plan Écophyto), les agriculteurs sont confrontés à une double exigence : préserver la performance économique de leurs exploitations tout en diminuant leur dépendance aux pesticides. Mais une question essentielle demeure : réduire les intrants phytosanitaires est-il économiquement viable ?

De nombreuses études récentes démontrent que réduire l’utilisation des pesticides est possible sans compromettre la rentabilité, à condition d’adopter une approche systémique combinant leviers techniques, accompagnement financier et évolution des pratiques agricoles. Cet article propose une analyse économique approfondie, basée sur des données issues de l’INRAE, du réseau DEPHY et d’organismes spécialisés, pour éclairer les décisions des professionnels du secteur.

1. Quel impact économique de la réduction des intrants phytosanitaires ?

Grandes cultures : une rentabilité préservée dans la majorité des cas

Les résultats sont encourageants pour les grandes cultures comme le blé, le maïs ou le colza. Selon une étude de l’INRAE menée sur 946 exploitations, une réduction de 30 à 42 % des pesticides est possible sans perte de rentabilité dans 77 % des cas. Dans 59 % des cas, les exploitants ont réussi à réduire les herbicides de 37 %, les fongicides de 47 % et les insecticides de 60 %, tout en maintenant leur marge.

Dans le cas du blé d’hiver, la suppression complète des pesticides entraîne une chute de rendement de 45 %, mais cette baisse est compensée par les aides agroenvironnementales (MAEC), permettant de maintenir la marge nette à un niveau satisfaisant.

Cultures spécialisées : des pertes plus sensibles

Les cultures à forte valeur ajoutée comme la pomme de terre ou la betterave présentent plus de difficultés. Une réduction de 50 % des intrants phytosanitaires en pomme de terre peut générer une baisse de rendement de 30 à 50 %, avec un coût de désherbage mécanique de 75 €/ha, soit plus du double d’un traitement chimique standard (30 €/ha). Pour la betterave, l’abandon des pesticides peut rester rentable, mais uniquement en l’absence d’aléas climatiques, et grâce à des primes spécifiques.

2. Comparatif économique des pratiques phytosanitaires et alternatives

Comprendre les coûts des différentes pratiques agricoles est essentiel pour évaluer la viabilité économique de la transition vers une réduction des intrants chimiques :

  • Traitement phytosanitaire classique : 30 €/ha
  • Désherbage mécanique : 75 €/ha
  • Biocontrôle : entre 21 et 44 €/ha
  • Couverts végétaux : entre 20 et 44 €/ha

Les produits phytosanitaires représentent entre 10 et 15 % des charges totales en grandes cultures, mais jusqu’à 30 % des coûts d’approvisionnement (engrais, semences, produits de protection). Réduire leur utilisation peut donc dégager des marges significatives, si les alternatives sont bien gérées.

3. Rôle déterminant des subventions et prise en compte des externalités

Aides publiques : un soutien clé à la transition

Les dispositifs d’aides agroenvironnementales sont essentiels pour amortir les coûts de transition :

  • Les MAEC, la certification HVE ou les aides à la conversion vers l’agriculture biologique peuvent couvrir jusqu’à 80 % des surcoûts initiaux.
  • En Suisse, des paiements directs MAE pour des cultures de blé sans pesticides augmentent la marge nette de 26 €/ha.

Externalités environnementales et sanitaires : un coût collectif

Au-delà des exploitations elles-mêmes, les phytosanitaires génèrent des coûts pour la collectivité :

  • 260 millions d’euros par an pour le traitement de l’eau contaminée
  • 372 millions à 8,2 milliards d’euros par an pour les impacts environnementaux et sanitaires

Limiter leur usage permet donc non seulement de préserver les ressources naturelles, mais aussi de réduire les charges publiques indirectes liées à la pollution.

4. Variabilité des résultats selon les systèmes agricoles

Polyculture-élevage : un modèle plus sobre et stable

Les exploitations combinant culture et élevage utilisent en moyenne 43 % de phytosanitaires en moins que les grandes cultures spécialisées. Leur Indice de Fréquence de Traitement (IFT) est de 2,24 contre 3,94, avec une marge brute comparable, grâce à la diversité des productions et la présence de prairies permanentes.

Agriculture biologique : moindres rendements mais rentabilité préservée

Malgré des rendements inférieurs de 20 à 50 %, les fermes bio bénéficient de prix de vente supérieurs de 15 à 30 % et d’aides spécifiques. En viticulture biologique, les coûts de main-d’œuvre sont plus élevés (+25 %), mais la marge à l’hectare reste équivalente à celle du conventionnel.

5. Études de référence : ce que révèlent les données chiffrées

Étude DEPHY (2024)

  • Sur 1 000 exploitations commerciales, une réduction de 50 % de l’usage des phytos est compatible avec le maintien de la rentabilité globale.
  • Les marges sont préservées grâce à la diversification des cultures, la réduction de la fertilisation, l’optimisation des traitements et l’usage du désherbage mécanique.

Étude INRAE (Nature Plants, 2017)

  • Dans 94 % des cas, la baisse de l’IFT n’a pas affecté la productivité, et dans 78 %, la rentabilité a été maintenue.
  • Toutefois, aucun gain économique net n’a été observé dans 89 % des situations, ce qui souligne que la réduction d’intrants stabilise la rentabilité sans toujours l’améliorer.

Modélisation Ecophyto R&D

  • Réduire les pesticides d’un tiers engendre seulement 6 % de perte de production.
  • À rendement équivalent, la marge reste stable grâce aux économies sur les intrants.
  • Une réduction de 50 % des phytos n’induit qu’une baisse de marge de 5 %, montrant la viabilité du modèle.

Viticulture : retour d’expérience DEPHY Ferme 2023

  • 70 % des 415 exploitations suivies ont réduit leur IFT, dont 18 % de plus de 50 %.
  • Cette transition a permis de réduire les charges phytosanitaires sans dégrader la performance économique dans la majorité des cas.

6. Clés de succès et limites de la réduction des phytos

Facteurs de réussite

  • Accompagnement technique : outils d’aide à la décision, formations, conseil agronomique
  • Soutien économique : subventions MAEC, crédits d’impôt transition écologique
  • Diversification des cultures : rotations longues, couverts végétaux, cultures intermédiaires
  • Innovation : biocontrôle, semences résistantes, désherbage de précision

Limites identifiées

  • Certaines cultures industrielles (pomme de terre, betterave) restent plus vulnérables, avec des pertes de rendement élevées.
  • Les coûts de transition (temps de travail, mécanisation, surveillance accrue) peuvent absorber les économies réalisées sur les intrants.
  • La diversification mal pensée peut paradoxalement conduire à une hausse globale de l’IFT si des cultures très traitées sont intégrées dans la rotation.

7. Conclusion : un modèle agricole à réinventer

Les données disponibles confirment que la réduction des intrants phytosanitaires est économiquement viable dans la majorité des situations agricoles. Si elle ne garantit pas toujours un gain immédiat, elle offre une stabilité économique à long terme, tout en réduisant les impacts environnementaux et les coûts sociétaux.

Pour les exploitants agricoles, cette transition nécessite :

  • Une adaptation fine des pratiques
  • Un accompagnement personnalisé
  • Une mobilisation des aides publiques
  • Un accès facilité à l’innovation agronomique

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