Utiliser moins de phytosanitaires : est-ce toujours rentable ?
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Introduction
La réduction des intrants phytosanitaires, longtemps considérée comme risquée pour la performance économique des exploitations agricoles, fait aujourd’hui l’objet d’un nombre croissant d’études, de retours d’expérience et d’initiatives publiques. À la croisée des enjeux environnementaux, sanitaires et agronomiques, cette transition s’impose comme un levier central de l’agriculture durable.
Mais dans quelle mesure peut-on réduire les phytosanitaires tout en maintenant, voire en améliorant, la rentabilité ? Quels enseignements tirer des agriculteurs qui ont franchi le pas ? Et surtout, dans quels contextes cela fonctionne réellement ? Cet article propose une synthèse complète des données économiques, des témoignages terrain et des facteurs clés de réussite.
Rentabilité selon les cultures et les systèmes agricoles
Les résultats économiques liés à la baisse des phytosanitaires varient selon les cultures, les systèmes d’exploitation et les stratégies adoptées.
Dans les grandes cultures (blé, maïs, colza), les données issues du réseau DEPHY et des travaux de l’INRAE montrent qu’il est possible de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires de 30 à 42 % sans perte de rentabilité dans 77 % des cas. Cette performance s’appuie principalement sur une réduction des charges d’approvisionnement. En blé tendre, une réduction de 15 % des intrants chimiques peut même entraîner une augmentation de 5 % de la marge brute, en raison d’une diminution directe des coûts. En maïs, une baisse de 30 % des phytos n’a pas d’effet négatif sur les rendements, ce qui permet de stabiliser la rentabilité.
Du côté des cultures spécialisées, la situation est plus contrastée. En pomme de terre, une réduction de 50 % de l’usage des phytos entraîne souvent une perte de rendement de 30 à 50 %. Toutefois, l’introduction du désherbage mécanique, bien que plus coûteux (75 €/ha contre 30 €/ha pour un traitement chimique), peut permettre une compensation partielle des pertes.
En viticulture, les réductions de l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) observées vont de 24 à 50 %. Ces baisses sont possibles sans compromettre la stabilité économique, à condition d’adapter les itinéraires techniques et de maîtriser les bioagresseurs avec des méthodes alternatives.
La betterave constitue un autre cas particulier. La suppression totale des néonicotinoïdes induit une baisse moyenne de rendement de 7 %. Cette perte est toutefois partiellement compensée par des dispositifs de primes spécifiques.
Quant à l’agriculture biologique, malgré des rendements inférieurs de 20 à 50 %, les prix de vente plus élevés (de 15 à 30 % supplémentaires) et les aides à la conversion ou au maintien (jusqu’à 1 200 €/ha en blé) permettent de restaurer la rentabilité. En viticulture bio, bien que les coûts de main-d’œuvre augmentent de 25 %, la marge nette reste proche du conventionnel.
Témoignages d’agriculteurs engagés
Plusieurs agriculteurs ont partagé leur retour d’expérience concernant la réduction des phytos. Ces témoignages permettent de mieux cerner les leviers efficaces et les résultats concrets obtenus.
Philippe Sautereau, céréalier dans le Cher, a réduit de 40 % son usage de phytosanitaires en diversifiant ses cultures, notamment par l’introduction de légumineuses et le recours au labour raisonné. Résultat : une augmentation notable de la marge brute grâce à la baisse des charges.
Jean-Pierre Lacanal, arboriculteur dans les Alpes-Maritimes, a diminué de 76,5 % ses traitements en intégrant des pratiques comme le désherbage mécanique, la surveillance accrue des vergers et l’application d’argile protectrice. Il observe un rendement stable et une compétitivité maintenue.
Philippe Girardeau, éleveur et céréalier en Sarthe, est passé en agriculture biologique. Son IFT est désormais de 0. Grâce à la diversification et à la valorisation des produits bio, il a amélioré la rentabilité de son exploitation malgré les investissements initiaux.
Facteurs clés de réussite
La rentabilité d’un système à bas intrants ne repose pas uniquement sur la réduction des phytosanitaires. Elle dépend fortement d’un ensemble de leviers agronomiques, économiques et organisationnels.
Le premier levier est la diversification des cultures. Introduire des espèces moins sensibles aux maladies, comme les légumineuses ou les céréales rustiques, permet de limiter la pression des adventices, des insectes et des pathogènes. Par exemple, en blé, l’introduction de cultures intermédiaires et de rotations longues permet une réduction de 37 % des herbicides.
Les outils d’aide à la décision (OAD) sont également essentiels. Ils permettent de moduler les doses en fonction des besoins réels, de mieux cibler les traitements et d’optimiser les interventions. Plusieurs exploitants ont pu réduire de 10 à 30 % leurs coûts en utilisant ces technologies.
Les subventions publiques jouent un rôle de levier économique. Les MAEC (Mesures Agro-Environnementales et Climatiques) peuvent couvrir jusqu’à 80 % des surcoûts de transition. En blé, elles permettent par exemple d’ajouter 26 €/ha à la marge nette dans certains systèmes bas intrants.
Enfin, les innovations techniques comme le biocontrôle, les couverts végétaux ou le désherbage mécanique contribuent à réduire l’usage de produits chimiques. Bien qu’elles engendrent parfois un coût supplémentaire à court terme, elles permettent souvent de stabiliser les performances économiques à moyen et long terme.
Limites et défis de la transition
Malgré les résultats positifs observés dans de nombreuses situations, la réduction des phytosanitaires présente certaines limites qu’il convient de souligner.
Tout d’abord, les résultats varient fortement selon les cultures. En betterave ou en pomme de terre, la baisse drastique des intrants peut provoquer des pertes de rendement difficilement rattrapables, même avec des aides publiques.
Dans les vergers, la nécessité de surveiller étroitement les bioagresseurs entraîne une augmentation notable de la charge de travail et des coûts de main-d’œuvre. Ce surcroît peut réduire les marges si aucune valorisation commerciale n’est envisagée.
Les coûts de transition représentent également un frein. L’achat de matériel spécialisé (par exemple, pulvérisateur de précision) peut aller de 6 000 à 130 000 euros. Ces investissements doivent être amortis sur plusieurs années et exigent un engagement sur le long terme.
Enfin, le contexte économique général influe sur la rentabilité des systèmes. En période de prix agricoles élevés, les systèmes intensifs conservent souvent un avantage économique à court terme, car les pertes de rendement liées à la réduction des phytos sont plus coûteuses que les économies réalisées.
Ce que disent les données nationales
Les études menées à l’échelle nationale confirment que la réduction des intrants phytosanitaires est économiquement viable dans la majorité des cas. Une analyse INRAE portant sur un large panel de fermes révèle que dans 94 % des situations, une baisse des traitements n’engendre pas de baisse de rendement. Et dans 78 % des cas, la rentabilité est maintenue voire améliorée.
À l’échelle nationale, une baisse de 30 % de l’usage des phytosanitaires est considérée comme économiquement possible, avec des marges stabilisées grâce aux économies sur les intrants, l’optimisation des pratiques et les aides disponibles.
Certaines exploitations ont même pu atteindre une réduction de 42 % des phytos, dont -37 % pour les herbicides, -47 % pour les fongicides et -60 % pour les insecticides, tout en conservant leur niveau de rentabilité.
Synthèse et perspectives
Réduire l’usage des produits phytosanitaires est possible sans compromettre la rentabilité dans une majorité de situations, en particulier pour les grandes cultures et les systèmes mixtes. Les facteurs de réussite incluent la diversification, l’innovation technique, l’accès aux aides et un accompagnement personnalisé.
Toutefois, la transition n’est pas automatique. Elle demande des investissements, une reconfiguration des itinéraires techniques et une gestion accrue des aléas. Pour les cultures spécialisées et les filières à haute valeur ajoutée, un soutien économique ciblé reste indispensable.
Le mot d’ordre est clair : réduire les phytos, oui, mais avec méthode, stratégie et accompagnement.
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